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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2010-10-15 | |
La lecture de la nouvelle `Jonas ou l’artiste au travail` et de la pièce de théâtre `Jonas` montre que Marin Sorescu et Albert Camus ont construit leur discours narratif et dramatique autour du mythe biblique de Jonas(1).
Avant de commencer l’analyse des éléments intertextuels de ces deux textes, il est nécessaire de les résumer, pour pouvoir les comparer ensuite au `Livre de Jonas`. Dans `Jonas ou l’artiste au travail`(2) il est question d’un peintre, Gilbert Jonas, qui devient célèbre dans la société parisienne. Sa célébrité attire beaucoup de gens qui passent chez lui. Comme ces individus assiègent son appartement, qui lui sert en même temps d’atelier, Jonas s’en va par les rues et cesse de peindre.  Le personnage de cette nouvelle de Camus compromet sa réputation par le fait qu’il passe beaucoup de temps dans des endroits peu fréquentés avec des gens qui ne savent rien de lui (garçons de café, piliers de bar, interlocuteurs de rencontre). Puis il rentre chez lui et construit lui-même un grenier à sa convenance, plutôt une boîte fixée au mur. Il s’y retire pour pouvoir peindre. Mais il ne peint pas, il médite. Il lui faut saisir un secret au-delà de son art. Epuisé et mourant de faim, Gilbert Jonas tombe du grenier et il laisse derrière lui une toile sur laquelle était écrit en tous petits caractères un mot indéchiffrable : solitaire ou solidaire. D’une manière différente, la pièce de théâtre de Marin Sorescu, `Jonas`(3), nous révèle un discours dans lequel le personnage est un pêcheur qui se trouve dans la bouche énorme d`un poisson dès le début. Le lecteur ne peut pas distinguer de quel poisson il s’agit et ce fait nous montre que le personnage est placé dans un espace sans coordonnées. La pièce est construite en quatre tableaux et le personnage Jonas ne peut pas parvenir à la lumière, c’est pourquoi il doit passer des épreuves. L’action du premier tableau se déroule dans la bouche du poisson et Jonas "tourne le dos à l’obscurité venant des profondeurs de la cavité". Il se pose des questions et c’est lui-même qui répond. Le deuxième tableau projette l’action à l’intérieur du Poisson N°1 parmi "éponges, menues arêtes, algues, misère aquatique". Il médite sur le fait qu’en lui "il commence à se faire tard" et c’est pourquoi il doit dormir. Jonas se souvient d’une histoire de quelqu’un qui a été avalé par une baleine. De cette histoire il n’a entendu que la première partie "là où il est dit qu’on peut se faire avaler par une baleine". Il se demande s’il peut sortir du ventre du poisson et conclut sur la question de la condition humaine et de sa propre condition mettant en lumière le suicide. Le troisième tableau est construit à l’intérieur du Poisson N°2. Jonas se pose des questions auxquelles il ne peut pas répondre. La rencontre avec Pêcheur 1 et Pêcheur 2 qui portent chacun une poutre sur l’épaule, la coupure du ventre du Poisson N°2 et l’entrée dans le Poisson N°3, le message que Jonas veut envoyer à sa mère et à la fin quand les petits poissons s’approchent de lui pour le manger, sont des scènes mystérieuses. Le dernier tableau montre Jonas dans le corps du dernier poisson éventré. Le but de Jonas est de parvenir à la lumière, il rencontre de nouveau les deux pêcheurs, il comprend la situation dans laquelle il se trouve. Le tableau se termine par le sacrifice de Jonas. `Du Livre de Jonas`, la nouvelle de Camus garde le nom mythique de Jonas parce que le discours narratif développe une étrange histoire d’un artiste. Camus relie son texte au Livre de Jonas non seulement par le nom qu’il a emprunté, mais aussi par une épigraphe qui met en évidence l’épisode de la tempête qui précède l’engloutissement par le grand poisson : "Jetez-moi dans la mer… car je sais que c’est moi qui attire sur vous cette tempête" (Jonas, I, 12). Le déroulement de la narration tient de l’originalité de Camus qui transforme le Jonas biblique en un Jonas mondain placé en milieu parisien. Marin Sorescu a gardé aussi le nom biblique et le motif de l’engloutissement de l’homme par un grand poisson. Marin Sorescu relie son Jonas à celui du `Livre de Jonas` par le motif biblique. Par le discours qui incorpore clairement "un dramatisme imaginé, un silence et même une volupté de la solitude"(4) (trad. "un dramatism imaginat, o liniÈ™te È™i chiar o voluptate a solitudinii"), et aussi par les symboles que nous remarquons dans la pièce, (soit la rencontre avec les deux pêcheurs, le souvenir de l’histoire du prophète, la lettre que Jonas veut envoyer à sa mère, les questions sur la problématique de l’existence humaine, la lumière et le rêve), la pièce Jonas de Marin Sorescu est un peu différente. FănuÈ™ BăileÈ™teanu, dans son ouvrage consacré à l’œuvre de Sorescu affirme que "Marin Sorescu ne réalise pas dans sa pièce seulement une démystification […] mais plutôt une réplique à rebours"(5) (trad. "Marin Sorescu nu realizează în piesa sa doar o demitizare, ci, mai de grabă, o replică à rebours"). Si dans le sens biblique Jonas "symbolise tout homme"(6) ou il est "la figure du Christ"(7) ou "le modèle du Juif étroit, tout attaché à son peuple"(8), chez Albert Camus et Marin Sorescu, Jonas a son histoire et suit son destin. L’histoire de Jonas vise l’artiste peintre et l’artiste damné, les références bibliques sont présentes pendant tout le discours. L’originalité vient juste mettre en valeur l’intertextualité. La chambre de l’appartement qui sert d’atelier à Gilbert Jonas, la bouche du poisson où se trouve dès le début Jonas sont des éléments que les deux auteurs ont empruntés au `Livre de Jonas`. Une autre référence biblique consiste dans le fait que Jonas a été élu. Jonas de la Bible refuse Dieu, puis il accepte son destin de prophète(9), le Jonas de Camus et de Sorescu n’accepte pas dès le début son destin, l’un veut devenir artiste célèbre parce qu’il croit en son étoile, l’autre veut pêcher et parvenir quand même à la lumière vers la fin de la pièce. `Du Livre de Jonas` on apprend que le salut de Jonas est le salut de l’universalité, que dans le centre de toute action se trouve l’homme. Dans la nouvelle de Camus et dans la pièce de Sorescu nous remarquons qu’il s’agit du salut de l’artiste peintre et de l'artiste damné. Les répliques finales viennent de suggérer que le salut de Jonas signifie que le personnage va continuer à trouver le bonheur(10). La liaison avec le `Livre de Jonas` se fait par la mise en scène des symboles, mais chaque réplique, chaque référence au mythe biblique se réalise au moyen de l'ironie. L’écriture que nous étudions incorpore l’intertextualité. Autour de l’intertextualité se construit un mythe qui nous présente une histoire à rebours. L’histoire de Jonas est une histoire moderne qui a comme point du départ la figure biblique du prophète, mais qui se distingue de celle-ci par la conception du discours et par le thème que les auteurs développent : nous assistons à une sorte de métamorphose – le prophète devient artiste qui peint la vie. (1) Jonas est envoyé à Ninive, symbole d'oppression et de violence, pour condamner la ville mais il s’enfuit dans la direction opposée, embarquant sur un navire en partance pour Tarsis pour échapper à la parole de Dieu et éviter que Ninive ne soit sauvée. Selon Isaïe, Tarsis est en effet le lieu où la parole divine n'arrive pas. Jonas monte dans un bateau, puis descend dans la cale, puis s'endort. Le navire est pris dans une grande tempête. Les marins jettent les sorts afin de découvrir la cause de ce malheur, sorts qui désignent Jonas. Il les invite à le lancer dans la mer, qui se calme. Avalé par un grand poisson durant trois jours et trois nuits, Jonas regrette sa fuite et se voit vomi sur une plage. Il annonce le futur jugement aux habitants de Ninive qui se repentent. Dieu réprimande Jonas de s'être irrité de ce qu'il lui disait. (2)`La nouvelle `Jonas ou l’artiste au travail` fait partie du recueil `L’Exil et Le Royaume` publié en 1957 chez Gallimard. Ce recueil comporte six textes: `La femme adultère`, `Le Renégat`, `Les muets`, `L’Hôte`, `Jonas ou l’artiste au travail` et `La pierre qui pousse`. (3) La pièce de théâtre, `Jonas`, a été publiée dans la revue `Luceafărul` (le 13 janvier 1968) et dans le numéro suivant, le 20 janvier 1968. (4) FănuÈ™ BăileÈ™teanu, `Marin Sorescu. Studiu monografic`, Editura Steaua Procion, BucureÈ™ti, 1998, p. 158. (Trad. "un dramatism imaginat, o liniÈ™te È™i chiar o voluptate a solitudinii") (5) Idem, p. 156. (Trad. "Marin Sorescu nu realizează în piesa sa doar o demitizare, ci, mai de grabă, o replică à rebours") (6) Martine Dulaey, `>. L’initiation chrétienne et la Bible (I et VI siècle)`, Editions Librairie Générale Française, Paris, 2001, p. 93 (7) Idem, p. 90 (8) Jérôme, `Commentaire sur Jonas` (Introduction, texte critique, traduction et commentaire par Yves Marie Duval), Edition du Cerf, Paris, 1985, p. 105 (9) Idem, p. 106 ("Après la tempête, après le séjour dans le ventre du monstre, Jonas est envoyé une nouvelle fois à Ninive. Cette fois, il s’exécute et fait rapidement l’annonce qui lui a été confiée; puis, il quitte la ville, avec l’espoir encore cependant qu’elle sera détruite. Il attend la catastrophe en dehors de la ville sous en soleil ardent où Dieu a la bonté de faire surgir un arbuste qui protège bientôt détruit. Le prophète, naguère enchanté de la présence de cette ombre soudaine, s’apitoie et se fâche de la disparition de l’arbuste, ce qui lui vaut une leçon de la part de Dieu.") (10) Marin Sorescu, `Jonas`, dans `La soif de la montagne de sel`, (texte français de Paola Bentz-Fauci), Éditions Domens, 1997, p. 51 ["(Hurlant) Jonas, Jonaaas! A l’envers, tout est à l’envers. Mais on ne m’aura pas comme ça! Je repars. Et cette fois je t’emmène. Chance ou pas chance. C’est trop dur d’être seul. (Il sort un couteau) Prêt, Jonas ? (S’ouvrant le ventre) Nous parviendrons quand même à la lumière!"] ; Albert Camus, `Jonas ou l’artiste au travail`, Gallimard (Folio), 2008, p. 61 (">.") |
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